Créer des moments magiques de littératie

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Expérimenter naturellement la lecture et l’écriture tout en misant sur les passions pour faciliter l’apprentissage.

Le projet « Découvre la lecture à travers ta passion » au centre Place Cartier de Beaconsfield

Créer des moments magiques pour les élèves à risque de décrochage

L’an dernier, la Commission scolaire Lester-B.-Pearson, dans l’ouest de l’île de Montréal, et l’Institut des troubles d’apprentissage — un organisme dont la mission est de développer pleinement le potentiel des personnes aux prises avec des difficultés d’apprentissage, afin qu’elles puissent ainsi contribuer positivement à la société — se sont associés afin de mettre sur pied un nouveau projet de littératie pour les élèves du centre Place Cartier de Beaconsfield, un établissement qui se consacre à l’éducation aux adultes.

Shannahn McInnis et Myriam Rabbat (Crédit photo : François Couture)

Le centre accueille, dans deux bâtiments du West Island, environ 1600 élèves âgés de 16 à 90 ans (!) désirant participer à un programme d’intégration sociale, obtenir un diplôme d’études secondaires, apprendre le français et l’anglais, terminer les prérequis pour suivre une formation professionnelle ou obtenir les crédits nécessaires afin de s’inscrire au cégep ou à l’université. C’est là qu’est né le projet « Découvre la lecture à travers ta passion », afin que ces élèves améliorent leurs capacités en lecture et en écriture.

« Si, en plus, on expérimente naturellement la lecture et l’écriture, pendant qu’on fait des choses qui nous passionnent, ça risque d’en faciliter l’apprentissage. »

« L’idée maîtresse derrière notre projet est de créer des moments magiques pour nos élèves à risque de décrochage », explique Shannahn McInnis, consultante en éducation à l’Institut des troubles d’apprentissage et coordonnatrice du projet. « C’est bien d’avoir des cours de langue et de communication pour développer son aptitude à comprendre et à bien utiliser l’information écrite, mais si, en plus, on expérimente naturellement la lecture et l’écriture, pendant qu’on fait des choses qui nous passionnent, ça risque d’en faciliter l’apprentissage. »

Dans un premier temps, grâce à un sondage d’intérêts soumis aux élèves du centre, madame McInnis a pris le pouls de cette communauté d’élèves et a pu déterminer ce qui l’animait — le rap et le le hip hop, le basketball, le gaming et… la cuisine ! Ensuite, elle a bâti un programme d’activités correspondant à ces intérêts, en y incorporant un volet de littératie : par exemple, en cuisine, on travaille la lecture et l’écriture par l’analyse des recettes et de leur préparation; en théâtre, par l’étude et la mémorisation du texte, etc.

« Et on assiste à de vrais moments magiques ! Je pense, par exemple, à cette jeune femme qui a écrit un texte de rap dans le cadre d’un atelier et qui était abasourdie et émue de constater qu’il était extrêmement puissant, et légitimement rap, lorsque doublé d’une instrumentation rendant hommage à son origine ethnique. Dans un autre atelier, des élèves devaient chanter en chœur pour accompagner une de leurs collègues qui, elle, chantait un solo; or, une élève, pour une raison inconnue, ne chantait pas. Son voisin s’est alors tourné vers elle en disant : Hey, elle a droit à son moment magique elle aussi, alors chante fort pour la soutenir, s.v.p.! Il avait développé une espèce de leadership instantané, avant même que l’animateur n’intervienne », raconte Shannahn McInnis.

« On s’est vite rendu compte que si l’activité interférait avec la vie de l’élève, ça ne marcherait pas. »

Ces activités ont d’abord été offertes aux élèves en dehors des heures de classe… mais elles n’attiraient presque personne ! « On s’est vite rendu compte que si l’activité interférait avec la vie de l’élève, ça ne marcherait pas », précise Myriam Rabbat, directrice du centre Place Cartier à l’éducation aux adultes. « Ici, l’école n’est plus obligatoire; même si on donne aux élèves une plage horaire libre pour des activités socioculturelles ou sportives, ça ne veut pas dire qu’ils vont en profiter. Ce sont des adultes; ils ont des vies en dehors de ces murs, des vies parfois compliquées en plus, alors si on voulait que notre programme marche, il fallait vite réajuster le tir. »

Mesdames McInnis et Rabbat se sont mises à réfléchir et ont conclu qu’il fallait mettre les enseignants du centre à contribution : dorénavant, les moments magiques de littératie surviendraient d’abord durant les heures de cours, en collaboration avec les enseignants et en lien avec la matière à couvrir durant l’année scolaire. « En accrochant d’abord les élèves durant les heures de cours, il a été plus facile de les convaincre de poursuivre leur moment magique pendant l’heure du dîner. Par exemple, on peut faire écrire le texte d’une création parlée (spoken word) pendant le cours d’anglais, avec l’aide d’un spécialiste de l’improvisation littéraire, et offrir ensuite d’enregistrer ce texte avec un professionnel du son après le cours; ça, c’est une formule gagnante », illustre Shannahn McInnis.

« Les projets comme celui-ci permettent de créer un meilleur milieu de vie pour eux, plus stimulant, plus structurant aussi, et c’est toute la société qui en bénéficie par la suite. »

Fait étonnant, il n’y a pas beaucoup de projets de ce genre pour les adultes au Québec — et pourtant, les besoins sont criants : « Il y a notamment beaucoup d’élèves ayant des problèmes de santé mentale ici, ce qui explique qu’ils n’ont pas pu fonctionner dans d’autres établissements scolaires. Or, pour certains de ces élèves, qui n’ont souvent pas d’adulte significatif dans leur vie, les gens du centre deviennent en quelque sorte des membres de leur famille. Les projets comme celui-ci permettent de créer un meilleur milieu de vie pour eux, plus stimulant, plus structurant aussi, et c’est toute la société qui en bénéficie par la suite. Et comme nous n’avons pas, ici, à l’interne, les ressources ni l’expertise pour créer et piloter ces projets, nous sommes heureux et chanceux de pouvoir compter sur Shannahn et les gens de l’Institut des troubles d’apprentissage, qui ont eux aussi à cœur la réussite de nos élèves », témoigne Myriam Rabbat.

« Le taux de participation et l’enthousiasme des élèves nous prouvent qu’on va dans la bonne direction. »

Les moments magiques se sont faits nombreux en cette première année… et on s’en promet encore plus l’an prochain! « Cette année, on a jeté les bases; l’an prochain, on sera meilleurs. Il est encore trop tôt pour mesurer les effets à long terme du projet, mais le taux de participation et l’enthousiasme des élèves nous prouvent qu’on va dans la bonne direction. Ici, on me donne la liberté d’essayer des choses et de me tromper. Personne n’agit comme s’il détenait la vérité absolue et on reste ouverts au changement. Bref, on forme une équipe géniale, et Myriam me fait sentir comme une employée honoraire du centre ! C’est la clef pour faire grandir ce beau projet ! », conclut Shannahn McInnis.

_ Juin 2018


Réseau réussite Montréal poursuit sa série d’articles illustrant différents projets de collaboration fructueuse entre le milieu scolaire et des partenaires de la communauté favorisant la réussite des jeunes.

C’est à François Couture, journaliste et photographe, que nous avons confié la mission d’aller à la rencontre des intervenants qui font vivre ces collaborations, afin qu’il en raconte les histoires les histoires, leurs histoires.