Ruth : avoir la chance de devenir quelqu’un

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« Toujours leur rappeler qu’ils sont des enfants pareils à tous les autres, qu’ils ne sont pas différents parce qu’ils viennent d’ailleurs. »

 

Ruth Nyemba Muamba est une jeune Congolaise de 16 ans qui a quitté son pays un matin de juillet il y a un an et demi, avec sa mère, ses deux frères et sa sœur.

Pour elle, émigrer à Montréal lui donnait la chance d’avoir une vie signifiante — une chance qu’elle n’aurait probablement pas eue dans sa contrée natale, un pays aux prises avec des conflits très violents.

« J’aimerais avoir une belle carrière, être une femme de valeur, me faire respecter. »

 


Ruth, depuis quand es-tu à Montréal et pourquoi ta famille et toi avez émigré ici ?

Dans notre pays d’origine, le Congo, il y a énormément de violence et de souffrance. Les gens manquent de moyens et se maltraitent pour cette raison. Des personnes veulent imposer leurs règlements aux autres, mais ceux-ci résistent fortement, et ça crée de grands combats. En plus, le gouvernement ne fait rien pour arrêter tout ça.

Je suis arrivée ici il y a un an et demi, avec ma mère, mes deux frères et ma sœur. Comme le mari de ma mère habite ici, il nous a parrainés. Mon père est encore au Congo; ce n’est pas facile pour moi de garder des liens avec lui dans les circonstances.

Quelle a été ta réaction lorsque tu as appris que tu allais quitter ton pays ?

Je ne voulais pas partir ! J’allais tout laisser là-bas, mes amis, mon école, mes activités parascolaires. Et non seulement ce n’est pas facile d’abandonner tout ce que l’on a toujours connu, mais en plus tu te retrouves dans un pays étranger, où tu ne connais personne.

Raconte-moi la journée où tu es partie du Congo pour venir ici.

Il y a eu des adieux déchirants avec mes amis, les gens de mon quartier. La veille du départ, nous avons dormi chez mon oncle. Mon père est venu nous chercher en pleine nuit, car nous devions être à 4 h du matin à l’aéroport. Il est resté longtemps avec nous, puisque nous n’allions plus le revoir avant longtemps. Dans l’avion, j’étais triste, je me sentais seule, et mes amis me manquaient déjà. Au moins, j’étais avec les membres de ma famille.

Nous sommes arrivés à Montréal vers 23 h, un soir de juillet. Le premier matin, tout était bizarre : dans l’immeuble où nous étions, il n’y avait pas de bruit. C’était tellement calme par rapport à ma vie à Kinshasa! Et tout le monde était occupé, mais nous, nous n’avions rien à faire. Je n’avais pas de téléphone, c’était plate. Mes frères et ma sœur m’ont tenu compagnie.

Ensuite, que s’est-il passé, comment as-tu pu intégrer ta nouvelle vie ?

En fait, j’ai passé un mois à ne pratiquement rien faire. On a cherché une école du quartier où m’inscrire. Puis, j’ai eu la chance de rencontrer une fille à l’église où priait ma tante, une Française d’origine congolaise. J’avais enfin trouvé quelqu’un à qui parler ! Nous passions tout notre temps ensemble, elle me faisait visiter la ville… Je me sentais moins seule grâce à elle.

À la rentrée scolaire, j’ai réussi mes examens d’entrée et j’ai pu aller à l’école Calixa-Lavallée. Au début, j’étais perdue : dans mon pays, il n’y a pas de grandes écoles comme ça, avec plein d’élèves; et puis, comme tout le monde était déjà dans une gang d’amis, c’était difficile de créer des liens.

Puis, un jour, à la cafétéria, une fille africaine m’a abordée pour me poser une question. Ça m’a donné l’occasion de tisser des liens avec elle. Ensuite, j’ai commencé à me faire d’autres amies, surtout des filles africaines, car c’était plus facile de bien m’entendre avec elles. Pour moi, c’était quand même bizarre de côtoyer des Français, des Mexicains, des Colombiens, etc. Je n’avais connu que des Congolais et Congolaises jusqu’à maintenant.

Au début, j’avais du mal à trouver mes repères. À cause de l’accent, j’avais aussi du mal à comprendre ce que l’enseignant disait. L’autre chose qui me dérangeait, c’est que j’oubliais constamment mes affaires. Dans mon pays, on n’a pas de cartable, alors ça m’a pris du temps avant de m’habituer à apporter tout ce dont j’avais besoin, chaque jour, à l’école.

Maintenant, après un an et demi, je dirais que ça va mieux. À l’invitation de ma prof de français, je me suis inscrite à un concours de bourses scolaires Desjardins et j’ai gagné. En plus de recevoir une bourse, j’ai eu la chance d’être invitée à aller rencontrer le ministre de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur. Puis j’ai remporté un prix de persévérance à mon école et j’ai représenté les Spartiates dans des compétitions de soccer. C’est comme ça que j’ai commencé à me faire connaître à l’école.

Qu’est-ce que tu apprécies le plus de ta nouvelle vie à Montréal ?

Il y a plusieurs choses. Premièrement, ici, personne ne m’empêche de faire des choses. Je veux dire, au Québec, tout le monde a une chance de devenir quelqu’un, je peux me trouver un vrai bon emploi. Et dans ma vie de tous les jours, si j’ai envie d’aller dans un parc, je vais pouvoir; au Congo, ce n’est pas tout le monde qui peut faire ce qu’il veut.

Ensuite, à l’école, si tu ne comprends pas, tu as le droit de demander de l’aide et il y a des gens qui sont là pour t’aider; dans mon pays d’origine, si tu ne comprends pas, c’est tant pis pour toi : soit on t’ignore, soit on te frappe et te maltraite. C’est la loi du plus fort qui règne. Ici, les adultes parlent aux enfants comme si on était des amis.

Ce qui fait que, maintenant, je suis trop contente d’être ici. Mes amis me racontent ce qui se passe au Congo et ils parlent de victimes et de morts; peut-être que si j’étais là-bas, je serais une victime moi aussi. Je suis chanceuse.

Si je te demandais de me raconter une situation qui t’a fait rire depuis ton arrivée à Montréal…

Je marchais en compagnie d’un groupe de personnes et, arrivés à un coin de rue, alors que le feu était rouge, elles ont arrêté de marcher ! Je me suis demandé pourquoi on arrêtait ainsi, car, dans mon pays, les gens ne respectent pas les signaux de la circulation, c’est la folie furieuse. J’ai trouvé ça très bizarre et très drôle !

Quel serait ton plus grand rêve ? Quelle vie souhaites-tu avoir au Québec ?

Je vais bosser dur pour devenir quelqu’un. J’aime accomplir des choses par moi-même, être indépendante. J’aimerais avoir un chez-moi et habiter seule, devenir une espèce de modèle pour les autres. En ce moment, je travaille chez McDonald’s, principalement aux cuisines — j’aime pas la caisse, ça me donne des vertiges vu qu’il y a trop de monde —, mais, éventuellement, j’aimerais poursuivre mes études pour travailler dans l’industrie de la beauté, car j’aime les produits de beauté. J’aimerais peut-être aussi devenir nutritionniste, pour donner des conseils aux gens sur leur alimentation, par exemple : quels genres d’aliments manger pour prévenir des maladies. J’aimerais avoir une belle carrière, être une femme de valeur, me faire respecter.

Que conseillerais-tu aux jeunes qui, comme toi, viennent d’ailleurs ?

De ne jamais oublier qu’ici, il y a toujours quelqu’un qui est là pour l’aider. Je lui dirais également que les études sont très importantes, qu’il faut bien écouter les profs, qu’ils sont des modèles pour nous…

En terminant, qu’est-ce que tu dirais à des gens qui s’occupent d’élèves comme toi issus de l’immigration ?

Toujours donner de l’encouragement, pour que les jeunes se sentent capables de faire de grandes choses. Et toujours leur rappeler qu’ils sont des enfants pareils à tous les autres, qu’ils ne sont pas différents parce qu’ils viennent d’ailleurs.

Ruth Nyemba Muamba
Novembre 2019


Photo et entrevue : François Couture

Pour mieux connaître la réalité particulière des élèves montréalais issus de l’immigration, nous avons confié à François Couture, rédacteur et photographe, la mission d’aller à la rencontre de jeunes immigrants qui ont accepté de nous parler d’où ils viennent, de leur vécu et de leur arrivée à Montréal.