FP : La formation à un métier spécialisé au temps de la COVID-19

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Parmi les défis particuliers de la FP en période de pandémie : l’acquisition de compétences essentielles qui ne s’apprennent que par la pratique

Publié le 18 mai 2020


COLLABORATION SPÉCIALE

Un texte d’Annie Dubeau et de Camille Jutras-Dupont, du Groupe de recherche sur l’enseignement, l’apprentissage et la transition en formation professionnelle (GREAT-FP), et de Sylvie Chartrand, de la Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys.

Réseau réussite Montréal sollicite des chercheurs et chercheuses sur certains aspects de la
persévérance scolaire liés à la crise actuelle. Un grand merci à chacun d’eux pour leur collaboration à notre dossier spécial COVID-19 et réussite éducative.


Présentation de la FP | Les défis en période de pandémie | Tous mobilisés pour la reprise de la formation | Auteures | Références

La pandémie de la COVID-19 aura mis en évidence le manque criant de personnel de la santé comme les préposés aux bénéficiaires et les infirmières auxiliaires. L’apprentissage de ces deux métiers, comme bien d’autres métiers indispensables, s’effectue par le biais de la formation professionnelle du secondaire. Qu’est-ce que la formation professionnelle et à quels enjeux sont soumis les élèves et le personnel qui veille à leur formation pendant la pandémie ? Ce texte vous propose un tour d’horizon sur cet ordre d’enseignement et sur les enjeux engendrés par la pandémie dans la grande région montréalaise comme ailleurs au Québec. 

La formation professionnelle

La formation professionnelle (FP) a pour mandat de former les prochaines générations de travailleurs en leur offrant une formation qui les prépare à exercer des métiers spécialisés dans une multitude de domaines variés.

Pour l’année scolaire 2017-2018, plus de 135 000 (H : 53 %) élèves se sont inscrits en FP. La grande majorité de ces élèves, soit environ 75 %, étaient alors inscrits à un programme menant à l’obtention d’un DEP1 (Banque de données des statistiques officielles sur le Québec, 2020).

Au Québec, l’apprentissage de ces métiers (p. ex., coiffeuse, mécanicien, infirmier auxiliaire) s’effectue dans des centres de formation professionnelle (CFP) par le biais d’un enseignement pratique dans lequel s’insèrent de courtes périodes théoriques (Compétences Québec, 2020 ; Doray, Ménard et Adouane, 2008; Misiorowska et al., 2019). Pour assurer un meilleur arrimage entre la formation et l’exercice du métier convoité (Hart, 2015), la grande majorité des programmes de FP comportent des stages réalisés en milieu de travail (inforoutefpt.org ; Beauchesne et Bousquet, 2008).

L’ensemble de ces formations, offertes dans toutes les régions du Québec, mènent à l’obtention de qualifications professionnelles reconnues par l’état et par le marché du travail (DEP, ASP et AEP1), lesquelles sont grandement recherchées par le marché du travail considérant les besoins actuels et à pourvoir dans les années à venir (Fortin, 2018 ; emploidavenir.gouv.qc.ca).

La réalisation d’études professionnelles présente des avantages considérables pour les jeunes québécois. D’une part, la FP est accessible à tout élève âgé de plus de 16 ans et les préalables exigés, variables d’une formation à l’autre, sont les cours de base de la 3e, 4e ou 5e secondaire, une attestation d’équivalence de niveau de scolarité ou les préalables fonctionnels prescrits par le programme d’études (maviemonmetier.ca). Ce faisant, la FP est plus accessible que la formation technique offerte au niveau collégial, permettant ainsi à un plus grand nombre d’élèves d’avoir accès à la formation menant à l’exercice d’un métier spécialisé. D’autre part, contrairement à la formation générale offerte au niveau secondaire, la FP permet une intégration rapide sur le marché du travail au terme d’une formation directement axée sur l’apprentissage d’un métier spécialisé (Masdonati, Fournier et Pinault, 2015 ; Solar-Pelletier, 2016) et courte en durée (entre 600 et 1 800 heures).

Accueillant annuellement des milliers de futurs travailleurs spécialisés qui sont essentiels au marché du travail, un arrêt de formation, comme celui vécu pendant la pandémie de la COVID-19, constitue ainsi un enjeu majeur.

Défis rencontrés dans le milieu de la FP pendant la pandémie

Des défis exacerbés pour la conciliation études-famille-emploi

Déjà en emploi avant la situation de la COVID-19, les élèves de la FP étaient « au front » pour soutenir la population québécoise.

À ce titre, les résultats préliminaires d’une enquête que nous avons menée du 30 mars au 13 mai 2020 ont révélé que ces élèves ont travaillé pour subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille. Ils ont occupé des emplois tels que préposé aux bénéficiaires, commis d’épicerie, commis de restauration rapide, assistant technique en pharmacie, des postes dans des milieux jugés essentiels par le gouvernement québécois et qui auront permis aux Québécois.es de se nourrir et de se soigner.

Différentes études indiquent que les élèves de la FP, pour les trois quarts âgés de 20 ans et plus et qui ont en moyenne 26 ans (Masdonati et al., 2015), rencontraient déjà diverses difficultés pendant leur formation avant la pandémie, notamment, des difficultés financières et de conciliation études-famille-emploi (Dubeau, Beaulieu, Bélanger, et Jutras-Dupont, 2020 ; Beaucher, Coulombe, Gagnon, Maltais, Breton, Doucet, Murphy, Gagné, Brisson et Gilbert, 2019). Alors que cette clientèle d’élèves faisait déjà face à différents défis, la pandémie de la COVID-19 aura exacerbé ceux-ci.

Par ailleurs, certains élèves n’ont pas été en mesure de poursuivre leur formation en raison des contraintes familiales occasionnées par le maintien des fermetures des écoles primaires dans la grande région montréalaise et des écoles secondaires partout au Québec. Qui plus est, lorsque possible, la formation à distance devient un défi d’autant plus important pour ces parents-élèves.

Les défis de l’apprentissage en ligne : accès aux outils et nouveaux modes d’apprentissage  

Dans la grande région de Montréal et ailleurs au Québec, il y a eu, pendant le confinement, la poursuite des apprentissages dans certains programmes de FP qui se prêtaient bien à la formation en ligne ou à distance (p. ex., dans les programmes de secrétariat et de comptabilité) et aussi parce que ces formations étaient déjà offertes en ligne ou à distance.

Ce virage à distance pour l’ensemble des programmes a toutefois requis de nombreux ajustements puisque la didactique des formations en ligne n’est pas la même que celle des formations en présentiel. Les conseillers pédagogiques ont travaillé en urgence à développer des directives et balises pour soutenir les enseignants.es et les élèves dans ce changement.

Il est toutefois important de noter que bon nombre d’élèves n’ont actuellement pas les outils nécessaires pour réaliser leurs apprentissages en ligne (ordinateur, logiciels spécialisés, accès à internet, etc.) ou ne savent pas comment utiliser ces technologies dans une visée de formation.

Des compétences difficilement acquises par l’enseignement à distance  

Le caractère pratique de la FP fait en sorte que plusieurs programmes ou compétences des programmes de FP sont difficiles, voire impossibles, à transférer pour l’enseignement à distance. C’est le cas notamment de l’apprentissage de la conduite de camion, de la pose d’un moteur pour le mécanicien ou de l’apprentissage des techniques de coupe en coiffure dont les simulations virtuelles ne sont pas suffisantes pour assurer le développement de compétences.

Dans certains cas, l’absence d’apprentissages pratiques s’avère même être un enjeu pour la sécurité des élèves. À ce titre, pensons aux programmes de soudage, de dynamitage ou de montage d’acier, qui sont des métiers pour lesquels la santé et la sécurité des personnes sont au cœur du travail à apprendre.

Les autres impacts des mesures de distanciation : ratios, stages, etc.  

Depuis la reprise graduelle des activités de formation dans les centres, les équipes ont travaillé d’arrache-pied pour réorganiser les calendriers de formation pour permettre aux élèves de reprendre le retard occasionné par le confinement. Cette reprise en présentielle a permis de poursuivre les activités de formation pratiques et les évaluations qui avaient été suspendues.

Toutefois, les mesures de distanciation ont entrainé une myriade d’impacts sur l’organisation des études en FP, comme par exemple :

  • Les ratios enseignants-élèves réduits qui requièrent plus d’enseignants ou plus de temps pour former le même nombre d’élèves;
  • Les entreprises qui ne peuvent plus accueillir les élèves en stage d’intégration, empêchant ces derniers de compléter leur formation;
  • Des dimensions de la formation qui ne peuvent pas être abordées puisqu’on ne peut faire pratiquer les élèves sur des personnes ; les cliniques-école, boutiques-école, restaurants-école étant fermés.
Les conséquences envisagées à long terme 

Même s’il est trop tôt pour statuer sur les conséquences à long terme de la pandémie sur les élèves de la FP, celles-ci sont déjà envisageables. La diplomation sera retardée pour de nombreux élèves.

Les élèves en fin de parcours, pour lesquels la réalisation d’un stage d’intégration au marché du travail représentait la dernière étape de leur formation, font parfois face à un obstacle majeur. Comme de nombreuses entreprises ont vu leurs activités être ralenties ou arrêtées par la situation, la réalisation de ces stages se voit être retardée.

Les élèves de certains domaines, notamment le secteur de la restauration et du commerce, qui ont eu la chance de compléter leur formation avant ou pendant la pandémie, n’échappent pas à cet obstacle. Ces derniers voient leurs chances d’obtenir un emploi dans leur domaine d’études diminuer en raison du taux de chômage élevé auquel la province québécoise fait face actuellement.

Certaines personnes risquent donc de se retrouver dans une situation de fragilité, surtout à Montréal où il est plus difficile d’accéder à des emplois de bonne qualité sans un diplôme.

En outre, l’effet de la pandémie sur la demande du marché du travail aura vraisemblablement une influence sur l’offre de la FP, qui est sensible aux indicateurs du marché du travail. Si c’est le cas pour les secteurs où les activités sont au ralenti, c’est également le cas des secteurs qui sont actuellement très en demande, comme celui de la santé. Malheureusement, la capacité d’accueil des CFP pour permettre aux personnes de se former dans ces domaines reste limitée et la réponse à cette demande présente des défis importants (ex. : nombre d’enseignants, espaces, place de formation disponibles, etc.).

Tout le monde est au rendez-vous

Le réseau de la FP est constitué de personnes créatives, résilientes et inventives qui n’ont pas hésité à s’engager dans le plan de relance de la FP. Les résultats de l’enquête que nous avons menée et les échanges que nous avons eus avec nos partenaires des CFP le confirment : tout le monde est au rendez-vous pour le déconfinement et pour la reprise des activités de formation ! Les élèves ont l’intention de poursuivre leur formation et les équipes sur le terrain vont tout faire pour les accompagner tout en relevant les défis importants qui sont occasionnés par l’état d’urgence sanitaire toujours en vigueur au Québec. Ce retour n’est toutefois pas pris à la légère et la santé, la sécurité et le bien-être de tous, qui ont toujours été au cœur des activités de ce secteur d’enseignement, le sont encore davantage.

On doit reconnaître la vraie force et l’importance de la FP, des métiers qui y sont rattachés de même que de ces professionnels qui les exercent. Ces femmes et ces hommes, issus de la FP, ont tenu la société durant cette pandémie ; c’est pourquoi il est important de donner à ce réseau éducatif les moyens de se relever de cette situation et de faire face à l’avenir.

La FP, avec ses particularités, ses spécificités et son régime pédagogique, constitue un réseau éducatif à part entière trop souvent oublié. Or, la mission sociale, visant la formation et la qualification d’une main-d’œuvre, confiée à cet ordre d’enseignement est trop importante pour que ce réseau soit assimilé aux mesures et aux paramètres de l’enseignement primaire et secondaire. L’expérience collective que nous vivons actuellement et la perspective que la pandémie de la COVID-19 connaisse une seconde vague lors de la prochaine année scolaire devraient nous inviter à réfléchir avec les acteurs du milieu pour offrir des mesures ciblées et adaptées aux réalités plurielles auxquelles sont confrontées les CFP. À cet effet, le Groupe de recherche sur l’enseignement, l’apprentissage et la transition en formation professionnelle (GREAT-FP) souhaite développer différents outils et faire contribuer les étudiants du baccalauréat en enseignement professionnel et technique de l’UQAM dans la mise en place de stratégies visant le soutien et la diplomation des élèves de la FP. Pour que ces Québécois.es, dont les services nous sont si importants, soient formés et considérés à leur juste valeur.

Auteures

Annie Dubeau, Ph.D.
Professeure, Département d’éducation et formation spécialisées, Université du Québec à Montréal
Directrice des programmes de baccalauréat en enseignement en formation professionnelle et technique
Groupe de recherche sur l’enseignement, l’apprentissage et la transition en formation professionnelle (GREAT-FP)
Membre régulière de l’Observatoire de la formation professionnelle du Québec

Camille Jutras-Dupont, M.A.
Candidate au doctorat, Université du Québec à Montréal
Orthopédagogue à la formation professionnelle
Groupe de recherche sur l’enseignement, l’apprentissage et la transition en formation professionnelle (GREAT-FP)

 

 

Sylvie Chartrand
Directrice, Formation professionnelle et diversifiée
Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys

 

 

 


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Notes

[1] DEP : Diplôme d’études professionnelles,  ASP : Attestation de spécialisation professionnelle,  AEP : Attestation d’études professionnelles

Références

Banque de données des statistiques officielles sur le Québec (2020). Effectif scolaire de la formation professionnelle, selon diverses variables, années scolaires 2005-2006 à 2017-2018, Québec [Tableau]. Récupéré de : http://www.bdso.gouv.qc.ca/pls/ken/ken213_afich_tabl.page_tabl?p_iden_tran=REPER5UDY 0842931841269291rmyD&p_lang=1&p_m_o=MEES&p_id_raprt=3415

Beaucher, C., Coulombe, S., Gagnon, C., Maltais, D., Breton, S., Doucet, M., Murphy, C., Gagné, A., Brisson, J., Gilbert, S. (2019, mai). Portrait des difficultés des élèves à besoins particuliers et pistes d’accompagnement favorisant leur persévérance et réussite en formation professionnelle. Colloque Déterminants de la motivation scolaire : du primaire à l’enseignement supérieur, ACFAS, Gatineau.

Beauchesne, L., et Bousquet, J. C. (2008). De l’école vers le marché du travail analyse des trajectoires des élèves selon leur cheminement scolaire et leur insertion sur le marché du travail : rapport d’étude.

Compétences Québec (2020). Programmes et formations. Dans Service régional d’admission en formation professionnelle. Récupéré de : https://www.srafp.com/programmes.aspx?sanction=5&autrespart=6

Dubeau, A., Beaulieu, M., Bélanger, F.-A. et Jutras-Dupont, C. (2020, mai) Consommation et motivation scolaire : quel est le portrait des adultes émergents en formation professionnelle ? Communication présentée dans le cadre du colloque « La motivation dans les domaines de vie », 88e congrès de l’ACFAS, Université de Sherbrooke, 4 au 8 mai 2020 (Conférence annulée).

Doray, P., Ménard, L. et Adouane, A. (2008). La prise en charge des transitions éducation-travail (école-emploi) au Québec : Réseaux canadiens de recherche en politiques publiques.

Fortin, P. (2018). Pénurie de main-d’œuvre : que faire ? L’actualité. Récupéré de https://lactualite.com/lactualite-affaires/penurie-de-main-doeuvre-que-faire/

Hart, S.-A. (2015). L’alternance travail études en ligne et en entreprise, un pas vers la formation duale et une innovation prometteuse pour l’industrie manufacturière, Bulletin de l’Observatoire compétences-emploi, 5(4).

Masdonati, J., Fournier, G. et Pinault, M. (2015). La formation professionnelle au Québec : le regard des élèves. L’orientation scolaire et professionnelle, 44(2). doi : 10.4000/osp.4590

Misiorowska, M., Potvin, M., et Arcand, S. (2019). Immigrants qualifiés cherchent qualification : La formation professionnelle et l’intégration au marché de l’emploi. Canadian Journal of Education/Revue canadienne de l’éducation42(1), 138-169.

Solar-Pelletier, L. (2016). Formation professionnelle et technique au Québec : un besoin de réforme. Revue internationale d’éducation de Sèvres, 71, 53-62. doi : 10.4000/ries.4649