Portrait de la transition effectué auprès d’un échantillon de jeunes plus à risque

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COLLABORATION SPÉCIALE 
Un texte d’Éliane Thouin, agente de liaison et de développement à Réseau réussite Montréal et doctorante en psychoéducation


La transition au collégial peut comporter son lot d’épreuves, particulièrement pour certains jeunes, notamment ceux issus de milieux socioéconomiquement défavorisés et ceux ayant accumulé du retard et des difficultés scolaires au secondaire (y compris les décrocheurs).  

Le projet Parcours, dirigé par la chercheuse Véronique Dupéré, s’est spécifiquement intéressé à ce sous-groupe de la population afin de documenter leurs expériences entre la fin de la scolarité secondaire (âge moyen = 16 ans) et l’entrée à l’âge adulte (âge moyen = 20 ans) au moyen d’entrevues en personne et de questionnaires auto révélés. L’échantillon de Parcours comporte 545 jeunes ayant été initialement recrutés (2012-2015) dans 12 écoles secondaires publiques de Montréal et de régions avoisinantes dont la majorité était située en zone de défavorisation socioéconomique (voir : Dupéré et al., 2018).  

  • Un tiers de ces jeunes avaient interrompu leurs études secondaires avant l’obtention d’un diplôme 
  • Un autre tiers était composé d’élèves similairement à risque, mais ayant persévéré 
  • Le dernier tiers était composé d’élèves à faible risque de décrochage scolaire  

Ces jeunes ont été ensuite recontactés quatre ans plus tard (2016-2019) pour une seconde entrevue en personne couvrant diverses thématiques marquant le début de l’âge adulte, y compris leurs parcours éducatifs et professionnels (voir la présentation « Parcours de transition de l’école au travail des jeunes en situation de vulnérabilité sociale ou scolaire »). Au total, 386 jeunes ont participé à cette deuxième phase de recherche. 

Transition au collégial 

Un premier portrait des trajectoires suivies par ces jeunes, conçu dans le cadre d’une étude menée par la doctorante Éliane Thouin, en collaboration avec Réseau réussite Montréal (RRM), a permis de constater que, tel que prévu en raison de leur profil de vulnérabilité, peu d’entre eux prévoyaient entreprendre des études collégiales au début de l’âge adulte. Plus précisément, seulement 35 % des jeunes du projet Parcours avaient amorcé une session au cégep avant l’âge de 20 ans, ce qui correspond à un taux environ 2 fois moins élevé que celui généralement observé auprès de la population du même âge au Québec (≈ 65 %). De surcroit, parmi les quelques jeunes ayant entrepris des études collégiales, environ le tiers (29 %) avaient, au même âge, abandonné leurs études en cours de route, soit avant l’obtention d’un diplôme ou d’une qualification. En considérant ces abandons, les taux de fréquentation et de diplomation du collégial au début de l’âge adulte tombaient respectivement à 19 % et à 6 %, une représentativité bien en deçà de celle espérée pour améliorer les chances de succès futurs de ces jeunes en situation de vulnérabilité scolaire ou sociale. 

Potentiels facteurs de promotion 

Par quels moyens les jeunes diplômés du collégial et ceux y poursuivant toujours leurs études sont parvenus à atteindre cet objectif, et ce, malgré les difficultés rencontrées ? Outre des données sociodémographiques, rapportant par exemple que les filles et les jeunes originaires de Montréal étaient plus nombreux à persévérer jusqu’au cégep, le portait élaboré par Thouin et RRM a permis de cibler deux potentiels facteurs de promotion par lesquels ces jeunes se démarquaient par rapport à ceux n’ayant pas entamé d’études collégiales (65 % de l’échantillon) et à ceux s’étant inscrits, mais ayant quitté sans obtenir de diplôme (10 % de l’échantillon). 

D’une part, ces jeunes étaient considérablement plus nombreux à avoir démontré à l’adolescence une plus grande ambition scolaire. En effet, alors qu’ils n’avaient pas en moyenne de meilleures notes (français/math.) ni une appréciation plus élevée de l’école en général, ils se démarquaient par leur aspiration à poursuivre des études collégiales ou universitaires une fois leur scolarité secondaire terminée. Ces aspirations élevées ont potentiellement agi à titre de moteur de la persévérance auprès de ces jeunes.  Elles sont reconnues comme un moyen d’accroitre et de maintenir la motivation scolaire. Elles sont donc à cultiver auprès des jeunes, afin de les encourager à persévérer jusqu’à l’atteinte des objectifs fixés. 

D’autre part, les jeunes du projet Parcours diplômés du collégial et ceux y poursuivant toujours leurs études provenaient en plus grand nombre de familles avec des parents ayant atteint un haut niveau d’éducation, comme une qualification collégiale ou universitaire. Bien qu’il ne s’agisse pas d’une science exacte, de multiples études (ex.: Bonin, Duchaine et Gaudreault, 2015; Consortium d’animation sur la persévérance et la réussite en enseignement supérieur, 2020; Lavoie et al., 2021; Mazzoti et al., 2020) ont également rapporté ce même facteur de promotion, expliquant que les parents plus éduqués ayant eux-mêmes navigué à travers les exigences de la scolarité postsecondaire sont généralement plus en mesure de soutenir leurs enfants lorsqu’ils arrivent à cette étape de leur vie, tant sur le plan social (ex. : soutien moral, conseils) que financier (ex. : assumer les frais d’inscription). Cette prémisse souligne donc que, parmi les jeunes au profil de vulnérabilité, ceux dont les parents ont arrêté leur scolarité au secondaire ou avant sont particulièrement à risque de manquer de soutien dans leur préparation de leur transition au collégial, ce qui amènera certains à choisir une voie de rechange telle que l’insertion en emploi ou l’interruption des études. 

Les autres parcours : où sont les jeunes non inscrits au collégial ? 

Les cheminements sans scolarité postsecondaire mènent-ils tous nécessairement vers un avenir précaire ? Est-il possible d’accéder à des emplois avantageux ou de s’épanouir professionnellement sans nécessairement passer par la diplomation collégiale ? Ces questions ont été brièvement traitées dans le cadre de l’étude de Thouin et de RRM, du fait que les autres cheminements constituaient davantage la norme (de 65 % à 75 %) que l’exception parmi les jeunes du projet Parcours. 

En y regardant de plus près, il a d’abord été possible de constater qu’une portion des jeunes étaient toujours aux études au début de l’âge adulte, soit dans le secteur de la formation générale des adultes (8 %), soit dans celui de la formation professionnelle (5 %). D’autres jeunes étaient plutôt inactifs ou au chômage (11 %), après avoir interrompu leurs études ou cessé leur emploi. Tous les autres jeunes de l’échantillon avaient comme occupation principale l’emploi (51 %), souvent depuis déjà quelques années, ceux-ci ayant commencé à travailler tôt après leur sortie du secondaire.  

Bien que la plupart d’entre eux mentionnaient travailler dans des emplois qu’ils qualifiaient de temporaires, en attendant d’effectuer un retour aux études ou de trouver de meilleures options (34 %), une partie d’entre eux rapportaient occuper un emploi satisfaisant dans lequel ils souhaitaient faire (ou faisaient déjà) carrière (17 %). Ces emplois-carrières, dont la plupart étaient issus des milieux de la construction ou des secteurs de la santé et des services sociaux, procuraient en moyenne des salaires plus élevés et de meilleures conditions de travail aux jeunes comparativement aux emplois « en attendant ».  

Les jeunes qui avaient des emploi-carrières présentaient de surcroit de meilleurs indicateurs de santé mentale que tous les jeunes de l’échantillon, et ce, même en comparaison des jeunes au collégial. Cette voie moins commune s’est ainsi révélée comme une option avantageuse, permettant aux jeunes d’atteindre une situation d’emploi favorable, sans passer par la scolarité post-secondaire.  

Néanmoins, il est important de rappeler que ce type d’emploi était occupé par peu de jeunes de l’échantillon, ce qui signifie que les emploi-carrières sont pour la plupart hors de portée, surtout pour des jeunes sans qualification ni expériences de travail antérieures selon les résultats obtenus. Parmi les moyens d’y parvenir, l’obtention d’un diplôme de formation professionnelle apparaissait comme l’un des plus efficaces. 

Le cas plus spécifique des jeunes ayant décroché du secondaire 

Outre ce portrait plus général des transitions postsecondaires des jeunes du projet Parcours, une autre étude issue du même projet s’est concentrée davantage sur la réalité des jeunes ayant décroché au secondaire. Suivant une approche qualitative, cette étude menée par la candidate au doctorat en psychoéducation Aida Benaguida a examiné, entre autres, les obstacles, les facilitants et les processus de raccrochage scolaire, du secondaire au collégial. 

Les résultats préliminaires indiquent d’abord que le passage à l’âge adulte de ces jeunes est souvent marqué par de multiples difficultés sur le plan relationnel (ex. : relation amoureuse compliquée), financier (ex. : endettement), familial (ex. : parent malade) ou sur le plan de la santé mentale (ex. : épisode dépressif). Entreprendre un retour aux études dans ces conditions peut ainsi représenter un défi de taille, que certains sont toutefois parvenus à relever.  

Pour y arriver, l’utilisation de services publics (ex. : bourses d’études, programme de soutien au raccrochage) facilitée par une personne-ressource dans l’entourage proche des jeunes semble avoir joué un rôle déterminant. Autrement dit, le retour et le maintien aux études étaient plus susceptibles de se concrétiser lorsqu’un intervenant ou une personne significative orientait les jeunes vers les ressources adaptées à leur situation (souvent plus qu’une), ce qui leur permettait d’avoir un soutien financier et scolaire tout au long de leur démarche. Ces personnes-ressources entretenaient souvent au préalable une relation privilégiée avec les jeunes, empreinte de confiance et d’empathie. Certaines œuvraient au sein d’établissements scolaires ou communautaires (ex. : intervenant psychosocial, conseillère d’orientation), alors que d’autres provenaient du milieu de travail occupé par les jeunes (ex. : employeur bienveillant). 

En bref, ces personnes-ressources se sont révélées essentielles pour assurer les liens entre les jeunes et les services dont ils se sont prévalus, surtout considérant que la plupart ignoraient leur existence à l’origine, ou connaissaient peu les bénéfices qu’ils pouvaient en retirer. En quelque sorte, ces personnes-ressources compensaient potentiellement le rôle d’un parent privilégié sur le plan social et scolaire, ce qui manquait à plusieurs des jeunes interviewés dans le cadre du projet Parcours.  

Ces résultats font écho aux prémisses des modèles théoriques multisystémiques de la résilience (voir Masten, 2001; Masten et al., 2021), qui stipulent que les processus de résilience sont particulièrement susceptibles d’émerger lorsque les individus ont dans leur entourage des personnes renforçant à la fois leur capacité à déployer leur potentiel tout en les accompagnant à mobiliser les ressources nécessaires pour actualiser ce potentiel.   

Ainsi, ce volet plus centré sur les expériences des jeunes décrocheurs du secondaire souligne l’importance d’entourer les jeunes à risque d’exclusion de personnes-ressources, de l’adolescence au début de l’âge adulte, afin qu’ils puissent bénéficier de meilleures occasions pour s’épanouir sur les plans scolaire professionnel. 

 

AUTEURE

Éliane Thouin, Ph. D., ps.éd., Agente de liaison et de développement, Réseau Réussite Montréal